Le gros de Didier Lefèvre: Chronique



Fondateur d'un des plus prestigieux et mythiques fanzines du paysage fantasticophile français, voix du groupe punk «Dead Rats», Didier Lefèvre aurait pu se complaire dans le confort d'une célébrité underground. Après avoir lancé sa rutilante cinéphilie et son amour de la langue à l'assaut de la bande FM, notre homme revient cet automne avec un premier roman sous le bras. Une livraison qui ne surprendra personne. Il fallait même «être borgne des deux yeux» pour ne pas pressentir que le style de Mr Lefèvre se trouverait d'un jour à l'autre trop à l'étroit dans la figure imposée de la critique, tournerait en rond dans cage de la chronique. «Le gros» a donc des airs de programme libre, mieux de libération …

Il déborde même, à l'image de son personnage titre. François, 15 ans, 103 kilos, tente de fuir dans un dérapage alimentaire continu, un engloutissement permanent de l'insoutenable normalité de son existence. La cruauté ordinaire des braves gens, sa mère alcoolique, son beau père cogneur, sa demi pute de grande sœur... La grisaille bizarrement apaisante de la France profonde et les années 80 en toile de fond. La mélancolie s'accroche même où on ne l'attend pas.

Fuir par l'excès, ici de victuailles, pour certains d'alcool et pour nous de films. Pour s'oublier un peu dans la course imposée du premier cri au dernier soupir. Un signe extérieur de rejet… Un signe de conscience diront certains. Ne faut-il pas être sacrement ravagé de la pépite pour être bien dans ses baskets face à l'aberrant spectacle de l'humanité ? François a choisi son camp, il s'empiffre. Pas de Jean Valjean en vue, pas d’échappatoire à l'horizon, le Gros c'est un peu Harry Potter sans magie (ou presque), sans espoir, il va sans dire. Et si ce requiem poétiquement incorrect entrouvre le temps de quelques pages la porte du fantastique, c'est pour mieux la refermer à la gueule de son gros et, accessoirement, celle du lecteur. No escape !

Dans cette ration de vie tristement normale couchée sur papier, il y en a un autre qui ne se retient pas ou du moins pas beaucoup. Outre quelques très attendus signes de croix cinéphiliques, Didier Lefèvre fait le chemin de son personnage à l'envers. Rien ne rentre mais qu'est ce que ça sort ! La toile sordide résultante donne tour à tour le vertige, la nausée, la gaule et finit par nous interroger sur l'étrange pouvoir de fascination qu'elle exerce sur nous. La façon dont elle nous pousse à tourner chaque page, sans le moindre déplaisir ni même honte.

Si vous ne l'aviez pas déjà compris, le gros n'est pas juste un premier roman, ni juste un livre réussi. C'est une expérience, un test de dépistage anti ravi de la crèche.

Le gros est disponible aux éditions Euryale et au prix de 10€.